LE PETIT DESPROGES ILLLUSTRE (PILOTE N° 115 - DECEMBRE 1983)

 


Pour toi, lecteur de Pilote, en première exclusivité mondiale, voici la suite de mon chef-d'oeuvre. Le plus petit dictionnaire du monde. Je dis bien le plus petit du monde. Méfie-toi des imitations. Il existe sur le marché des dictionnaires imprimés tout menu. Mais, à y regarder de plus près, ils comportent, sous ce format réduit, un très grand nombre de mots. Alors que le mien est le seul à ne comporter qu'un seul mot par lettre d'alphabet. A titre de comparaison, je rappelle que la dernière édition du "Petit Robert" comporte 2000 pages. soit, à raison d'une moyenne de 20 mots par page, 40.000 mots ! Ce qui revient à dire que "le petit Desproges illustré" comporte 39.944 mots de moins que son plus sérieux concurrent. Des chiffres qui se passent de commentaires et qui expliquent le prix relativement élevé de cet ouvrage hors du commun. Résumé des chapitres précédents : Après avoir abordé les lettres A et B, l'auteur s'en prend à la lettreC. GROUILLE : n.m. et adj. : Maghrébin. Le mot crouille est un mot crochon. Dans son sens péjoratif, il désigne un bicot. Pour nos amis ratons, le mot crouille est franchement désobligeant. Très en vogue dans la bourgeoisie algéroise pendant les années 50, le mot crouille est tombé en désuétude à l'époque où le peuple bique a conquis son indépendance. Il n'est plus guère employé qu'en ostréiculture, où l'on dira volontiers : "La jolie praire de crouille", alors que : "Le joli belon du melon" est nettement plus lourd. D DIRECTEUR : n.m. du latin "Di" ("la première porte") et "Rectus" ("à droite"). Depuis l'aurore de l'humanité et jusqu'à la semaine prochaine, si les troupes du Pacte de Varsovie ne se foutent pas sur la gueule avec celles de l'O.T.A.N., le mot "directeur" a toujours désigné un personnage important. Alors qu'une blanche vaut deux noires, un directeur vaut douze Berrichons, au moins. On ne dit pas : "Un petit directeur", on dit : "Un chef de rayon". On ne dit pas : "Un grand 7 directeur", on dit : "Un chef de diamètre". Il y a en moyenne beaucoup plus de directeurs dans une administration que dans un orchestre de jazz. Par exemple, au ministère des Postes et Télécommunications, Monsieur Jean- Pierre Brouchard dirige à lui tout seul cent vingt-cinq bons à rien vivipares, alors qu'au Modern Jazz Quartet, Monsieur Kenny Clarke joue du tambour dans un bordel indescriptible. Le féminin de "directeur" est : "La femme du directeur". Contrairement à la plupart des garçons de bain de la piscine municipale de Coligny-les-Eaux, où l'on ne peut pas fructifier tranquillement ses mycoses sans se faire engueuler, le directeur est un animal sociable. Comme le prouve l'expérience. Si nous asseyons face à face, dans un compartiment de première classe de la Société Nationale des Chemins de Fer Français, deux directeurs qui ne se con- naissent pas, et si nous faisons s'ébranler le train, que se passe-t-il ? Eh bien, au moment même où le train s'ébranle, le premier directeur, que nous appellerons A, pour plus de commodité, dit à l'adresse du second, que nous appellerons B.B., en hommage à Brigitte Bardot qui était assez célèbre pour son train, elle aussi : — Ah ! nous voilà partis. Ce à quoi son vis-à-vis répond, presque du tac au tac : — Oui. E EPEIRE : n.f. du grec "EP", qui signifie Ep, et "EIRE", qui signifie Eire. Araignée à abdomen diversement coloré, qui construit de grandes toiles verticales et régulières dans les jardins, dans les bois et dans la cuisine de Simone de Beauvoir, qui est tout de même plus douée pour la littérature que pour la bouffe, contrairement à Madame Raymond Aron qui a plus fait pour la renommée du canard à l'orange dans le huitième, que son mari pour celle de l'humanisme éclairé dans les faubourgs de la Seine Saint-Denis. Les deux espèces d'Epeire les plus répandues dans nos régions sont l'Epeire Indigne, appelée ainsi parce qu'elle mange ses oeufs en mettant ses coudes sur la table, et l'Epeire de Couilles, appelée ainsi en hommage à Jean-Pierre Couilles, le célèbre entomologiste oranais qui perdit les siennes au cours d'un affrontement idéologique extrêmement violent avec un Fellagha baballophage. Comme la coccinelle, l'abeille et l'éboueur sénégalais, l'Epeire est un insecte utile à l'homme. Elle se nourrit, en effet, de pucerons noirs, de puces sauteuses et de poux chafouins, alors que l'éboueur sénégalais cité plus haut est incapable de faire du miel. D'autre part, c'est avec du jus d'Epeire, recueilli selon les méthodes ancestrales que la pudeur m'empêche de décrire ici (quand on sait ce que certains dépravés n'hésitent pas à faire aux mouches, j'ai honte pour eux) que les moines de la Grande Chartreuse font la Bénédictine.

(A suivre. Peut-être. Mais c'est pas sûr. Personnellement, ça m'étonnerait. Va savoir).