MEMBRAKE LE MAGICIEN PAR PIERRE DESPROGES (PILOTE N° 111 - AOÛT 1983)

SI j'étais Superman, je défendrais la veuve contre l'orphelin.

J'ai horreur des enfants.

Comme Superman, à mes moments creux, je serais journaliste. A la rubrique "humour" du journal "Le Monde"  : ça me laisserait du temps libre. A l'heure de la sortie des classes, je plongerais vers les maternelles pour écraser deux ou trois merdeux de quelques mandales sidérales dans la gueule. Quel délicieux sentiment de puissance !

La puissance... Tel que vous me voyez, je peux beaucoup. Les filles m'appellent Membrake le Magicien. Que celle qui se tord et gémit dans les affres du manque d'amour, n'hésite pas à m'appeler. Je ferai jaillir en elle une immense espérance qui la pénétrera jusqu'à l'extase, avec buffet campagnard gratuit et nocturne le mercredi.

A quoi croyez-vous que rêve le candidat à la présidence de la République qui sacrifie toute sa vie à l'espoir fou de pouvoir un jour poser son cul sur une chaise un peu plus haute que celle des veaux qui l'ont élu ? Il rêve d'être Membrake et Superman, d'avoir une cape pas comme tout le monde et d'aller trois fois plus vite de Nantes à Montaigu que mon beau-frère Jean-Louis dans sa R 12.

En ce qui me concerne, si j'étais Président de la République, j'ai la nette impression, et je le dis en toute modestie, que je serais grandiose. Les réalisations prati- ques de ma politique autoritaire, mais juste, ne manqueront pas de surprendre le démocrate de base, antityrannique primaire et sottement confit dans sa vieille habitude du schéma droite-gauche.

Une de mes premières actions serait d'abolir le mois de mars, dont tout le monde sait bien qu'il doublonne avec avril, mais que personne avant moi n'osa interdire par calcul électoral et basse démagogie, et pour flatter la base accrochée à son train-train. Alors que, nous le savons tous en notre âme et conscience, si l'Homme peut vivre sans giboulées de mars, il ne saurait se passer de poisson d'avril.

Dans un deuxième temps, je rétablirais la guillotine. Pas la peine de mort  : la guillotine. Les assassins récupérables ne seront pas PUNIS de la peine de mort, mais GUERIS par l'ablation de la tête.

J'interdirais également Pierre Desproges 7 l'emploi du mot "géranium' sur les antennes de la télévision et de la radio d'Etat. Je rappelle à ce propos que ces organismes sont des SERVI- CES PUBLICS qui doivent donc tenir compte des sensibilités de tous, y compris des Françaises et des Français qui n'aiment pas le mot "géranium". Ce n'est pas mon ami Louis Leprince-Ringuet, garçon de bain nucléaire au comité pour le respect des consciences, qui me contredira.

Quand je serai chef de l'Etat, enfin, je me ferai tuer s'il le faut pour supprimer dans mon pays toutes les formes de racisme. Les racistes sont à la base de toutes les sottises. Ils sont les ferments de toutes les discordes et les moteurs de toutes les guerres. A mon avis, qui se trouve être l'avis auquel j'ai le plus volontiers tendance à me référer quand il m'arrive de vouloir savoir ce que je pense vraiment, le racisme doit être balayé de la terre entière. Je m'y emploierai dès mon entrée en fonctions à l'Elysée. Je convoquerai tous les chefs d'Etat du monde. Nous nous assiérons tous autour d'une grande table, même les Nègres, et nous prendrons les mesures qui s'imposent. Dans un premier temps, je suggérerai que les racistes pris en flagrant délit de ratonnade ou d'antisémitisme, même simplement verbal, soient privés de certains, voire de tous leurs droits civiques. Les commerçants, les fonctionnaires, les artisans coupables de racisme, se verront contraints de fermer boutique ou soumis à des périodes de mises à pied de durées directement proportionnelles à la gravité de leur faute. Par la suite, au cas où, comme tout permet de le redouter, les vagues de racisme persisteraient, j'en viendrais vraisemblablement à des mesures plus fermes. Afin que les racistes puissent être reconnus de tous et désignés d'emblée au juste courroux populaire, il se pourrait que le "R" initial de leur infamie leur soit gravé sur le front, au fer rouge, par simple décision municipale.

Mais je me laisse emporter par la colère. User du fer rouge reviendrait à entériner une pratique barbare digne des racistes eux-mêmes.

A la réflexion, je me contenterai de leur imposer le port du "R" infâmant sur une étoile jaune cousue sur la chemise ou la veste.